Le colonel Chabert, Honoré de Balzac(1844)

Le Colonel Chabert- Honoré De Balzac / Dessin de Bertall.


Les morts et les vivants

L’immersion dans l’œuvre balzacienne nous fait rapidement comprendre pourquoi il est et restera un très grand écrivain. Ses romans et ses nouvelles nous plongent dans un passé décrit avec justesse. Il n'omet pas le contexte et prend toujours grand soin au « plantage du décor ». Le lecteur n’a aucun mal à faire évoluer les personnages dans son esprit, à les imaginer conversant, s’aimant ou se haïssant.
Le Colonel Chabert ne fait par exception à cette règle. Il s’agit d’une nouvelle qui illustre l’ironie du sort face à la mort, aussi honorable qu’elle puisse être. Un homme tombe sur le champ d’une grande bataille. Mais contre toute attente il revient pour ainsi dire à la vie. La grande faucheuse, coquine dans le cas présent, le laisse esseulé, démuni et blessé. Ni nom, ni argent, ni reconnaissance.
Comme à son habitude, Balzac nous peint des personnages aux traits de vérité, pétris dans le moule d’une profonde humanité même si dans ce cas ils manquent parfois de profondeur d’esprit. Ne vous fiez pas aux premières pages un peu indigestes à mon goût, car une fois montés dans le train de l’histoire vous ne descendrez plus.
Le Colonel Chabert n’est pas homme banal et sa bataille posthume mérite qu’on s’y attarde.
Je ne vous en dis pas plus. Une seule phrase encore, celle de Derville : « Toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours en-dessous de la vérité. »

Laisse le vent du soir décider, Jean-Michel Rihet (2012)

medium

Jim Curtiss, pilote vétéran des batailles du Pacifique (Midway, Guadalcanal) reste sur Hawaii à la fin du conflit. Solitaire, alcoolique et dépressif, il rachète cependant son avion avec l’intention de re-piloter. Hanté par la mort de sa femme et ses souvenirs de guerre, il sombre dans les bouges d’Alvarado Street, avant que sa rencontre avec un vieil homme, le Vieux, ne le persuade de refaire sa vie sur un archipel isolé.
Aidé par l’extravagant chef-mécano Molotov, la remise en état du Douglas sera difficile, à l’image du combat de ces hommes traumatisés pour se reconstruire.


La découverte d'une plume vivante

La découverte d’une belle âme munie d’une plume vivante capable de nous faire verser quelques larmes est toujours un événement important dans une vie.
Jean-Michel Rihet fait partie de ceux là.

Je l’ai rencontré sur le Bottin International des Professionnels du Livre et son roman « Laisse le vent du soir décider » m’a intriguée (http://jeanmichelrihet.wordpress.com/tag/roman).
Le prologue joliment tissé de mots bien choisis, lu sur son sympathique blog «Ecritoires» au détour d'une ballade numérique, un soir où je ne m’attendais pas à une telle surprise, est d’une fluidité pure et attrape au vol notre curiosité. Il est court mais nous dit quelquechose : «Encore ».

Prologue:
Je regarde la nuit au travers des hautes fenêtres d’un bâtiment bien gris et contemple mon avion qui attend, fier et tranquille. Il a belle allure avec son hélice toute neuve. Je laisse derrière moi des années d’épouvante, toutes ces horreurs, toute cette mort. Je n’emporte rien d’autre que cette vision d’un Monde-derrière-la-Mer.
Ah si, j’emmène le Vieux.

Ni une ni deux je le commande et me retrouve à attendre son arrivée, chaque soir, en ouvrant la boîte aux lettres. Je l’imagine dans les cales d’un bateau affrontant une mer déchainée ou dans la soute d’un avion traversant l’Atlantique et ses violents orages.

Premier jour… Je savais que je ne l’y trouverais pas mais j’ai comme espéré un miracle. Il me semble que c’est le moment où Jean-Michel a commencé à poster sur le Blog du Bottin ces articles illustrés de photos anciennes et composés de textes permettant de comprendre mieux la portée historique du roman.
L’envie de vivre quelques jours au côté de Jim s’est faite plus forte et, un soir, il était là ! Enfin, je pourrais aller plus loin que le prologue, découvrir les souvenirs de ce vétéran d’une Guerre qu’un jour, malheureusement, nous oublierons à force d’oublier le passé. Ce récit poignant qui nous prend à la gorge - je peux maintenant l’écrire - mouille parfois nos yeux de tristesse ou de rire. Les personnages sont attachants ; le chef-mécano et son acolyte insolite, le Vieux bien sûr et tous ceux qui gravitent autour d’eux.

Jim reprend goût à la vie au fil des pages et le lecteur découvre les raisons de l’état de son âme meurtrie.

La première partie est tout simplement magnifique, poétique même. J’ai un faible pour le chapitre qui commence à la page 43… Je ne peux résister ici à vous dévoiler quelques lignes, j’espère que Jean-Michel ne m’en voudra pas trop :
« [...] En glissant d’entre mes mains, sa robe se retrouva un instant retenue à la pointe de ses seins, étoffe mouillée de pluie, imprégnée d’elle. Elle avait le grain de peau qu’un homme n’oublie jamais, comme un sable doux et granuleux à la fois, une peau faite pour les caresses.[...] »
Les deux chapitres qui sont liés dans le roman – les lecteurs sauront desquels je parle - sont simplement parfaits. Je pourrais les relire encore et encore, et je ne m’en priverai pas !
L’action est mouvementée dans la seconde partie. De notre lit, notre chaise, de la plage au soleil ou du fauteuil auprès de la bibliothèque, nous sommes immédiatement transportés là-bas, haut dans les airs, perdus dans des torrents de mort et de feu. Je n’arrivais plus à m’arrêter.
Une vague de tristesse m’a envahie lorsque la faucheuse a emmené tous ces innocents sacrifiés sur l’autel de la folie des hommes … surtout un…
Et cette fin ! Quelle fin !
Je peux l’avouer maintenant… J’ai hâte de lire la suite !!!

Quatre autres petits extraits qui m'ont littéralement transportée:
« [...] Un royaume végétal, une lutte florale constante et bordélique, pour un bout de lumière cherchant un morceau de ciel. [...] »
« [...] Parfois, les eaux de la baie à la tombée du soir, prennent cette teinte fluorescente ; le bleu et le vert se disputent encore des restes de lumières que les vagues, au dessus de cette palette liquide, s'amusent à mélanger. [...] »
« [...] Je n'eux qu'à bouger doucement un orteil afin de faire glisser un peu le drap, juste au moment d'apercevoir, à travers des rideaux liquides aux carreaux des fenêtres, un formidable éclair comme un arbre à l'envers, dont les branches grifferaient le sommet des montagnes. [...] »
« [...] Je me retrouverai sur cette île flottante laissant derrière moi tout un pan de ma vie, qui avait contenu le meilleur de ce qu'un homme peut espérer de l'existence, mais dont il ne restait que des ruines. [...] »

A lire absolument si vous n’avez pas encore envie de vous plonger dans ce livre :
http://ventdusoir.wordpress.com (blog dédié au roman)

La métamorphose, Franz Kafka (1915)

Quatrième de couverture

Avec Kafka, le fantastique n'est plus un élément déroutant. Il devient tout naturel. Il est ressenti de l'intérieur. C'est en quoi Kafka, comme Proust, Joyce ou Céline, est une des clés de la littérature du XXe siècle.
ROGER NIMIER

Du fantastique, en toute simplicité! 
En me réveillant un matin après des rêves agités, je crus subir le sort de Gregor Samsa. Mais cette sensation n’était que le fruit des songes qui m’habitaient encore. La veille, j’avais terminé la lecture de « La Métamorphose » de Kafka. On dit souvent que nos rêves illustrent, à leur manière, les événements qui nous travaillent. Je ne sais pas si c’est vrai, mais cette nuit là j’avais rêvé d’une métamorphose et, en sueur, m’étais réveillée un peu effrayée.

Cette œuvre, courte mais intense, est intéressante et surprend. Pourtant, l’histoire est tout à fait banale, même s’il s’agit d’une nouvelle fantastique. Point de rebondissements, ni de grandes surprises. Un jour, Gregor est une bestiole répugnante, on ne sait pas pourquoi, et puis voilà.
Certains disent même que la description de l'état général de Gregor peut faire penser à la tuberculose, que Kafka porta en son sein sept années durant et qui l'emporta en 1924.

Le regard de sa famille est, à mon sens, la dimension qui doit polariser l’attention du lecteur. Si du jour au lendemain, votre moitié ou vos enfants se transformaient en autre chose, comment réagiriez-vous ?

Je trouve que la trame de l’histoire, si on lit entre les lignes, pose des questions qui sont encore d’actualité. Un enfant ou un proche qui devient, pour l’une ou l’autre raison, un étranger aux yeux des siens entraîne inévitablement une mutation des relations qui les unissent. Toute la difficulté est d’apprendre à connaître et surtout à comprendre cette nouvelle personnalité.

Les quelques pages qui composent ce petit bijou se lisent sans difficultés. On s’attache à Gregor et on finit presque par détester les autres. L’ambiance, en huit-clos dans un appartement que Kafka nous dépeint froid et sans charme, donne une dimension dramatique à cette histoire un peu triste.

Pour son originalité, sa qualité d’écriture et surtout pour la mise en mots du fantastique par Kafka, je conseille cette lecture.

L’édition que j’ai eu entre les mains comportait d’autres nouvelles. Certaines étaient pour le moins, comment dire, déroutantes. Je ne les aies d’ailleurs pas toutes lues.
Mais la Métamorphose vaut carrément le détour !

Extraits choisis

 "... son mouvement d'escarpolette." 
Escarpolette : Vieilli. Siège, planchette suspendu(e) par des cordes où l'on se balance, assis ou debout, p. ext. balançoire. Pousser l'escarpolette. Le capitaine Aimery attachait une escarpolette à deux branches basses et nous balançait tour à tour (Adam, Enf. d'Aust.,1902, p. 88) (Définition du CNRTL (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
"... avec ses cheveux en bataille plein du désordre de la nuit."
"Grégoire  ne sortit qu'au crépuscule d'un sommeil de plomb ressemblant à la mort."
"Elle avait l'air beaucoup plus inquiet que d'habitude."

Le noeud de vipère, Francois Mauriac (1932)

Résumé (Karla Manuele)

De la haine, de la colère, de l'aigreur : voilà tout le fiel dont dégouline le cœur du vieil homme qui meurt, et qui décrit celui-ci comme un "nœud de vipères [...] saturé de leur venin". Vingt-trois ans de haine silencieuse qui éclate dans la lettre qu'il laisse à sa famille : l'heure est venue de régler les comptes. D'accuser et de punir : vingt-trois ans plus tôt donc, il avait cru faire un mariage d'amour avec Isa, demoiselle Fondaudège, en même temps qu'il accédait enfin à la reconnaissance sociale. Mais très vite, Isa l'avait détrompé : elle avait épousé l'argent, et non l'homme. De là était née une haine permanente et indélébile : toute sa vie, il avait abominé chacun des membres de cette famille, jusqu'à ses propres enfants, qui le lui avaient bien rendu. Et à présent, il allait leur faire payer toutes ces années, en les privant de l'héritage sans lequel ils ne pourraient pas vivre.
Récit d'une vengeance, récit d'une âme noire : Mauriac nous livre une fascinante autopsie du cœur humain.

Découverte d'un auteur
(Source photo)

Dans cette œuvre qui suit les dernières années de la vie d'un vieillard, aigri, avare par passion et peu aimé par sa famille, grâce à un journal écrit pour soulager sa conscience, on est plongé dans l'esprit tortueux du narrateur. Mauriac réussit, le temps de la lecture, à nous transporter en région bordelaise, dans une demeure où les histoires de famille et les drames flottent silencieusement dans l'air.
Je ne connaissais pas la plume de Mauriac, et c'est le premier de ses livres que j'ai l'occasion d'avoir entre les mains ; une très bonne surprise, une écriture fluide, une fin originale, des personnages humainement réalistes, et puis des tournures de phrase frisant avec la perfection.
Extraits choisis:

"Je me hâtais de déplaire exprès par crainte de déplaire naturellement."
"Envier des êtres que l'on méprise, il y a dans cette honteuse passion de quoi empoisonner toute une vie."
"Tu avais d'ailleurs cette insolence de ne jamais regarder les autres, qui était une façon de les supprimer."
"...et parfois le vent imitait, dans les frondaisons, le bruit d'une averse."
"La lune, à son déclin, éclairait le plancher et les pâles fantômes de nos vêtements éparses."
"Les étoiles de l'aube palpitaient encore."
"Le silence est une facilité à laquelle je succombe toujours."
"L'épaule de collines soulevait la brume, la déchirait. Un clocher naissait du brouillard, puis l'église à son tour en sortait, comme un corps vivant."
"Vous ne pouvez imaginer ce supplice : ne rien avoir eu de la vie et ne rien attendre de la mort." (la
vieillesse)
"On ne peut tout seul garder la foi en soi-même."
"Les femmes ne se souviennent pas de ce qu'elles n'éprouvent plus."
"Il n'avait pas le sentiment de la nature parce qu'il était la nature même, confondu en elle, une de ses forces, une source vive entre les sources."
"Deux vieux époux ne se détestent jamais autant qu'ils l'imaginent."
"A travers le vitre où une mouche se cogne, je regarde les coteaux endormis."
"Vous pouvez me vomir, je n'en existe pas moins."
"Une certaine qualité de gentillesse est toujours signe de trahison."
"Nous ne savons pas ce que nous désirons, nous n'aimons pas ce que nous croyons aimer."
"La prairie est plus claire que le ciel. La terre, gorgée d'eau, fume, et les ornières, pleine de pluie, reflètent un azur trouble."
"J'ai été prisonnier pendant toute ma vie d'une passion qui ne me possédais pas. Comme un chien qui aboie à la lune, j'ai été fasciné par un reflet."
"Mais aujourd'hui, je suis un vieillard au cœur trop lent, et je regarde le dernier automne de ma vie endormir la vigne, l'engourdir de fumée et de rayons."
"Nous ne voyons que ce que nous sommes accoutumés à voir."
"Le brouillard était sonore, on entendait la plaine sans la voir."

Au secours pardon, Frédéric Beigbeder (2007)

Quatrième de couverture
Octave est de retour. L'ancien rédacteur publicitaire de 99 Francs porte désormais une chapka. Il erre dans Moscou, sous la neige et les dollars, à la recherche d'un visage parfait. Son nouveau métier ? " Talent scout ". C'est un job de rêve. Octave est payé par une agence de mannequins pour aborder les plus jolies filles du monde. " Messieurs, notre but est simple : que trois milliards de femmes aient envie de ressembler à la même. " Son problème sera de trouver laquelle. On pourrait croire que cette satire dénonce la tyrannie de la jeunesse et la dictature de la beauté. Ce n'est pas tout. Octave va à la rencontre de son Apocalypse : Lena, une adolescente de Saint-Pétersbourg, qu'il aimera pour la première et la dernière fois. Au secours pardon raconte l'histoire d'un homme qui se croit libre comme la Russie, et qui va s'apercevoir que a liberté n'existe pas

Au secours pardon, un aveu...

99 Francs était un ovni à sa sortie et, sincèrement, j'ai bien aimé ce livre, le premier que je lisais de Beigbeder.
Octave nous fait découvrir un monde que l'on ne connait pas, et autant dans la manière que dans le fond j'ai été convaincue.
Mais était-il nécessaire de le faire revenir dans un nouveau livre qui sent le réchauffé et est vraiment grotesque.
Octave en Russie, bon pourquoi pas... Mais le reste... Franchement Fred....
On aime ou on aime pas l'auteur.
D'ailleurs on peut apprécier Beigbeder parfois et se demander quelle mouche l'a piqué le lendemain...
Au secours pardon, un aveu de Frédéric pour s'excuser de la médiocrité de sa suite...
Je mets tout de même une étoile car certaines phrases valent le coup.
"Accepter la petitesse de l'homme est le début de l’intelligence" (par exemple)

Colline, Jean Giono (1929)

Quatrième de couverture:

Un débris de hameau où quatre maisons fleuries d'orchis émergent des blés drus et hauts. Ce sont les Bastides Blanches, à mi-chemin entre la plaine et le grand désert lavandier, à l'ombre des monts de Lure. C'est là que vivent douze personnes, deux ménages, plus Gagou l'innocent. Janet est le plus vieux des Bastides. Ayant longtemps regardé et écouté la nature, il a appris beaucoup de choses et connaît sans doute des secrets. Maintenant, paralysé et couché près de l'âtre, il parle sans arrêt, « ça coule comme un ruisseau », et ce qu'il dit finit par faire peur aux gens des Bastides. Puis la fontaine tarit, une petite fille tombe malade, un incendie éclate. C'en est trop ! Le responsable doit être ce vieux sorcier de Janet. Il faut le tuer ! Dans Colline, premier roman de la trilogie de Pan (Un de Baumugnes, Regain), Jean Giono, un de nos plus grands conteurs, exalte dans une langue riche et puissante les liens profonds qui lient les paysans à la nature.

Un chef d'oeuvre poétique

Tel un peintre exposant son talent, Giono nous dévoile une œuvre poétique avec ce premier roman de la trilogie de Pan (Un de Baumugnes, Regain).
La beauté des mots est présente tout au long du texte, elle envoûte le lecteur pour le plonger dans cette ambiance paysanne où le dieu des bergers d'Arcadie est secrètement à l’œuvre.
L'histoire est simple, la plume virtuose.
Gondran, Jaume, Maurras, Gagou et les autres vivent au Bastides blanches, "un débris de hameau où quatre maisons fleuries d'orchis émergent des blés drus et hauts". Un jour, le chat noir apparait et annonce une série de catastrophes qui menace leur survie. Mais qui est responsable? Ne serait-ce pas Janet, ce vieux fou à demi-mort dans son lit qui se délecte du sort que la Colline réserve aux Bastides? Il faut en finir.
Un grand moment de littérature, une écriture précise et un sens de la description digne d'un très grand homme.

Textes choisis:

".. les nues légères, tout à l'heure rosées, bleuissent doucement ; toute le poussière blanche du soleil se dépose dans une coupe de l'horizon, l'ombre de Lure monte."

"Les heures sont faites d'un grand rêve où dansent les eaux d'argent"

"Et voilà, couché devant leurs pas, le squelette du village. Ce n'est qu'un tas d'os brisés sur lequel s'acharnent le vent. Le long fleuve d'air mugit dans les maisons vides. Les ossements luisent sous la Lune. Au fond du vent, le village est immobile dans la houle marine des herbes."

"Le galet de la lune roule sur le sable du ciel".

"Leur tête est trouée par la couleur élargie des yeux et le gouffre de la bouche."

"Depuis elle pousse sa tête rouge à travers les bois et les landes, son ventre de flamme suit ; sa queue, derrière elle, bat les braises et les cendres."

"La flamme bondit comme une eau en colère."

Pas de Ebook pour cette oeuvre, en revanche j'ai trouvé une nouvelle (ici) qui doit être fort sympathique.

Qu'est ce qu'un écrivain?, Alain Duchesne & Thierry Leguay (2002)

Quatrième de couverture:

Qu'est ce qu'un écrivain?
Un écrivain est-il un homme (ou une femme) comme les autres? Oui... et non, car à partir du moment où il entre en écriture, il se trouve plongé dans un univers hors du commun. Dans ce livre très documenté, vous allez pénétrer dans les coulisses de l'exploit... littéraire. De Flaubert à Sollers, de Balzac à Sartre, vous saurez tout, tout sur les écrivains et la création littéraire. Pourquoi et pour quoi écrivent-ils? Où: bistrots, appartements, bordel? Comment: assis, debout, couchés? Sur quoi: papiers, carnets, nappes de restaurant? Mais, au-delà de l'anecdote, vous ne pourrez être que fascinés par la découverte de ce parcours semé d'embûches et de bonheurs, qui va de l'inspiration à la publication.
Un livre étonnant qui se lit comme un roman dont l'écrivain est le héros, mais aussi comme un guide pratique de l'écriture, la vraie!

Alain Duchesne et Thierry Leguay, professeurs de lettres au Mans, sont les auteurs de nombreux ouvrages très remarqués, dont la célèbre "Petite fabrique de littérature".

Une gourmandise

Alain Duchesne et Thierry Leguay aiment lire les journaux ou carnets d'écrivains, leur correspondance, et les entretiens qu'ils accordent aux différents médias.
Ces deux amoureux de la littérature tentent de dresser le portrait des écrivains qui ont marqué ce noble métier et essayent de répondre à la question "Qu'est ce qu'un écrivain?" en survolant des thématiques, somme toute, peu alambiquée:
- Lieux;
- Outils, Vêtements Fétiches;
- Le Corps;
- Drogues, Nourritures, Boissons...

Le résultat, plutôt amusant et divertissant, se lit très facilement et mérite une recommandation de lecture. J'y ai personnellement pris beaucoup de plaisir. A travers les témoignages des principaux et plus illustres intéressées (Balzac, Voltaire, Verlaine, Céline, Rimbaud, ...), les auteurs nous plongent dans un univers d'êtres torturés, malheureux souvent, compliqués d'esprit la plupart du temps.


Témoignages choisis

"L'écriture est une façon de se réfugier quelque part quand on a nulle part où aller"
Jérôme Charyn

"J'écoute le bruit de la ville,
Et prisonnier sans horizon,
Je ne vois rien qu'un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison".
Apollinaire, 1911 (en prison)

"J'ai pendant un mois, à ne pas quitter ma table, où je jette ma vie comme un alchimiste son or dans un creuset. Je travaille nuit et jour. Pas de relâche."
Honoré de Balzac, à Zulma Carraud.

"Une prétendue "misanthropie" est une nécessité vitale pour un homme de pensée, s'il veut sauver ce qu'il y a d'essentiel en lui."
Montherlant
"La cécité est un bienfait, car elle renforce les visions intérieure."
Borges 

"Marier les mots, les soupeser, en explorer les sens, est une manière de faire l'amour."
Marguerite Yourcenor

"Un écrivain sans oreille est comme un boxeur sans main gauche."
Ernest Hemingway

"Il [le titre] doit donner le ton et doit sortir de l'ouvrage logiquement comme son fumet, comme une odeur ou un parfum. Il en annonce non seulement le sujet, mais la teneur, le charme, le rythme."
Jarhandeau

"Celui qui parle de l'avenir est un coquin, c'est l'actuel qui compte. Invoquer sa postérité, c'est faire un discours aux asticots."
Louis-Ferdinand Céline

Le compte à rebours a-t-il commencé?, Albert Jacquard (2009)

"Longtemps, l'humanité a vécu en pensant qu'elle avait tout son temps, que le progrès n'en finirait pas de transformer le monde à son avantage, que les hommes seraient toujours plus performants, que l'on pouvait fabriquer indéfiniment des bombes nucléaires sans avoir à les utiliser et prélever à l'envi toutes les richesses de la planète sans jamais entamer son capital.
Cette époque est révolu. Nous savons maintenant que le temps nous est compté et qu'à force de travailler contre nous-mêmes, nours risquons de fabriquer une Terre où aucun de nous ne voudra vivre.
Dans ce livre qui ressemble à un avis de tempête, Albert Jacquard (1925 - ) passe en revue les questions à propos desquelles il est urgent de procéder à une refonte complète de nos habitudes.
Non, le pire n'est pas certain, mais nous devons nous hâter".




Déception

J'ai lu ce texte comme on va faire ses courses, sans trop y penser ou en pensant à autre chose.
Je n'ai pas l'impression d'avoir "acquis" des connaissances supplémentaires sur le sujet en m'imprégnant des propos d'Albert Jacquart.
La dimension stylistique n'était pas un objectif avoué, je ne peux donc critiquer cet aspect là. C'est écrit simplement, sans doute pour rendre le contenu accessible à tout le monde.
Mais justement, ce contenu est décevant. Beaucoup de banalités, de sujets importants effleurés, d'ébauches de solutions trop peu traitées. On sent la vision du scientifique, et même si il manque de nombreuses choses dans l'ouvrage, il peut être intéressant si on le complète par d'autres.
Et puis, il se lit en 2h.

Extrait:

"Il n'est question depuis quelques décennies que de sauver la planète. Les rencontres de chefs d'Etat ou les colloques internationaux comme les conversations en famille ou les brèves de comptoir polarisent les réflexions sur ce sauvetage présenté comme urgent. Mais n'y a-t-il pas là une erreur de terme? Est-ce bien la Terre qui est en danger?"
... ou bien est-ce l'humanité...

Fichier:Albert Jacquard - May 2009.jpg
Crédit photo: Guillaume Paumier

Paroles indiennes, Michel Piquemal (1994)

"Notre monde occidental a pour règle de juger le génie des civilisations à l'ampleur des traces qu'elles laissent derrière elles: monuments, églises, fortifications militaires, etc.  A cette aune-là, la civilisation indienne ne pèse pas bien lourd et sa disparition peut paraître un détail de l'Histoire.
Pourtant, ces peuples ont parlé avant d'être définitivement vaincus. Et nous restons confondus devant ces bribes de voix et ce qu'elles laissent présager de leur spiritualité.
Ces hommes (qui ne bâtissaient ni pyramides ni cathédrales) avaient trouvé leur juste place dans le cosmos, au sein d'une Nature qu'ils respectaient et adoraient. Ils ne cherchaient pas à accumuler richesses et bien-être, mais à se forger une âme forte en harmonie avec le monde. Savoir s'intégrer respectueusement à l'univers des forêts ou des plaines, savoir reconnaître l'étincelle du sacré dans chaque parcelle de vie... voilà l'essentiel de leur philosophie.
Quand on sait la cupidité qui animait les conquérants venus d'Europe, on comprend que la dialogue était impossible entre deux manières aussi opposées d'envisager l'existence. Cependant, face à l'avancée impitoyable des colons, les Indiens d'Amérique ont sans cesse recherché un consensus qui leur permettrait de continuer à vivre en pais selon leur antique manière... Mais pour l'homme blanc, il n'y avait pas de consensus possible en dehors de la déportation et de l'extermination. Et c'est sans doute là l'un des aspects les plus poignants des textes que nous publions ci-après: des hommes cherchant à s'expliquer, à se faire comprendre face à des sourds qui ne veulent pas entendre... et qui préjugent orgueilleusement de leur qualité de "civilisés" pour s'arroger tous les droits.
On sait quel cortège de crimes (massacres, spoliations, traités signés et aussitôt bafoués,...) la confrontation a donné lieu. Mais il n'est plus temps de pleurer sur l'anéantissement physique du monde indien, il n'est plus temps de rager sur un génocide aussi abominable que stupide; l'urgence est aujourd'hui de s'interroger sur ce que leur spiritualité (que l'on retrouve vivace au travers des écrits) peut apporter à l'avenir de l'homme.
Face au désarroi dans lequel se trouve plongé notre monde matérialiste, la sagesse indienne apparaît comme une source toujours vive. ces "paroles" ne pouvaient donc qu'inaugurer une collection cherchant à mettre à la portée de tous les textes clés de la spiritualité éternelle.

Michel Piquemal.

Le souvenir de la lecture de ses textes est resté, inébranlable, gravé dans ma mémoire. Les Amérindiens étaient sans doute les plus grands philosophes de leur temps. Ils ne cherchaient pas à comprendre l'homme en tant qu'être supérieur parmi les autres, mais ils souhaitaient vivre en harmonie avec la Nature, sans la dénaturer et en respectant ses équilibres.
Ces écrits devraient être lus par tous car ils font partie de la mémoire collective et constituent, sans aucun doute, une part de la solution qu'il nous reste à construire ensemble.

Extraits:

"Qu'est ce que la vie?
C'est l'éclat d'une luciole dans la nuit.
C'est le souffle d'un bison en hiver.
C'est la petite ombre qui court dans l'herbe
et se perd au coucher du soleil."

Crowfoot, chef blackfeet (1821 - 1890)


"Les Blancs se sont toujours moqués de la terre, du daim ou de l'ours. Quand nous, Indiens, tuons du gibier, nous le mangeons sans laisser de restes. Quand nous déterrons des racines, nous faisons de petits trous. Quand nous construisons nos maisons, nous faisons de petits trous. Quand nous brûlons l'herbe à cause des sauterelles, nous ne ruinons pas tout.
Pour faire tomber glands et pignons, nous secouons les branches. Nous n'utilisons que du bois mort. Mais les Blancs retournent le sol, abattent les arbres, massacrent tout. L'arbre dit: "Arrête, j'ai mal, ne me blesse pas." Mais ils l'abattent et le découpent en morceaux. L'esprit de la terre les hait. Ils arrachent les arbres, la faisant trembler au plus profond.
Comment l'esprit de la terre pourrait-il aimer l'homme blanc? Partout où il la touche, elle est meurtrie."

Une vieille femme wintu



Photographies mises en regard des textes:

Edward S. Curtis (1868 - 1952) a parcouru, de 1896 à 1930, l'Amérique du Nord, de l'Ouest du Mississippi à l'Alaska, afin d'immortaliser ce qu'il considérait comme une race en voie d'extinction. Il a ainsi offert aux générations futures près de 40000 clichés d'une civilisation mourante, victime d'un génocide dont on connait aujourd'hui l'ampleur et l'inhumanité.


Photo de Edward S. Curtis extraite de L'Amérique indienne, Albin Michel, 1992







Lady Chatterley, D.H. Lawrence (1973)


Le livre que j'ai en ma possession (photo cintre, collection "Livre Club des Tuileries" - Les cent un chefs-d’œuvre du génie humain) constitue la première version de l’œuvre de D.H. Lawrence:
- Version I: Lady Chatterley
- Version II: Lady Chatterley et l'homme des bois
- Version III: L'amant de Lady Chatterley (la plus connue)

N'ayant pas lu les versions II et III de l’œuvre de Lawrence, il m'est difficile de comparer, je ne me risquerai donc pas à le faire.


Cet extrait de la critique d'Esther Forbes donnera certains éléments de comparaison:
"Dans cette première version, il est purement et simplement un romancier. [...] Dans le premier projet, l'essentiel du drame repose dans la difficulté de rapports intimes entre individus et entre classes. Ce désir de rapprochement est toujours déçu. Même dans l'union de Constance et de Parkin [Mellors dans les autres versions], ceux-ci atteignent difficilement la véritable intimité de leur amour presque animal. C'est une étude très nette des différences sociales. [...] Dans la première version, Clifford, la mari de Lady Chatterley est un homme amoindri, mais qui supporte courageusement son épreuve et se préoccupe de sa femme. A mesure que Constance se rapproche de Parkin, elle aime de moins en moins Clifford, mais il reste un personnage vrai. [...] Dans la première version, l'intérêt du lecteur se concentre sur le garde-chasse Parkin, l'un des meilleurs personnages de Lawrence. C'est un petit homme sympathique, aux fières moustaches, amusant, sentant le terroir. C'est un solitaire. Ses sentiments antisociaux ont été exaspérés par un mariage malheureux (cette mégère qui est dans toutes les versions). Ses haines profondes ne se sont pas apaisées dans sa liaison avec Lady Chatterley. Il ne trouve d'apaisement qu'à la fin en se consacrant au parti communiste. ..."
Une des notes rédigées par Jean-Paul Trutt (visible ici) est très intéressante à ce sujet.

Premier manuscrit réussi
Dans cette version, Lady Chatterley est une jeune femme embrasée par le feu de la passion. Elle l'aime, son Parkin. La distance sociale est décrite avec habileté et on pénètre facilement dans la psychologie de cette Lady. On embrasse l'ambiance de cette région minière, peuplée d'hommes et de femmes malgracieux mais authentiques, qui séduisent une âme ennuyée de sa vie de château.
L'édition que j'ai eu l'opportunité de lire comportait de nombreuses fautes, ou orthographiques, ou de frappe, et cette dimension a quelque peu abîmée ma vision de l’œuvre.
Mais dans l'ensemble, Lawrence dépeint des personnages attachants, vrais, et saisissables.
Cet œuvre à sa place dans la collection "Livre Club des Tuileries" les cent un chefs-d’œuvre du génie humain.

Reims le tramway, hier et aujourd'hui, Michel Thibault (2010)

"A l'heure où la ville de Reims se dote d'un nouveau tramway (avril 2011), Michel Thibault nous invite à redécouvrir plus d'un siècle de transport en commun: les omnibus à partir de 1872, les tramways électriques de 1900 à 1939. Près de 300 documents iconographiques, principalement issus de la collection de l'auteur, nous font partager sa passion pour la cité en une longue promenade à travers les six lignes de tramways qui sillonnaient la ville avant la Grande Guerre.
Puis vient l'heure de la modernité, où l'on passe à de nouveaux travaux avec la construction d'une ligne plus écologique de 11,2 km de parcours qui devrait permettre aux Rémois de se déplacer dans d'excellentes conditions."

Cet ouvrage permet de découvrir des photos de la cité des Sacres avant la destruction massive de 14-18 (60 maisons étaient habitables à la fin de la guerre) . Certaines montrent les dégâts de cette catastrophe pour le patrimoine architectural de Reims.
J'ai lu ce livre à mon arrivée dans la ville, et il m'a permis de comprendre, en suivant la ligne directrice des moyens de transport, l'histoire d'une ville dont je ne connaissais rien ou presque.
Un bel ouvrage.

La condition humaine, André Malraux (1933)

La Condition humaine relate le parcours d'un groupe de révolutionnaires communistes préparant le soulèvement de la ville de Shanghaï. Au moment où commence le récit, le 21 mars 1927, communistes et nationalistes préparent une insurrection contre le gouvernement.

Pour s'emparer de sa cargaison, Tchen poignarde un trafiquant d'armes. Kyo et Katow, soutenus par le baron Clappique, peuvent alors distribuer le fret aux combattants clandestins. L'insurrection a lieu le lendemain, et ils remportent facilement la victoire grâce à une population qui leur est alliée contre la police. D'un autre côté, le capitaliste Ferral convainc le milieu des affaires de se rallier au général Tchang Kaï-chek, sur le point d'envahir la ville. La victoire remportée, ce dernier se tourne contre les communistes, suivant l'accord passé avec Ferral et sauvant par là-même les actions de celui-ci ; il exige des rouges qu'ils rendent leurs armes. En réaction, Kyo part consulter le Komintern à Han Kéou, ville située un peu plus au nord, mais Moscou déclare préférer rester neutre et interdit tout nouveau soulèvement. Il revient sans plus savoir quoi faire, tandis que Tchen, que son premier meurtre a progressivement transformé en partisan de l'action directe, envisage l'assassinat de Tchang Kaï-chek.

Au milieu de la répression, Clappique apprend que lui et Kyo sont recherchés par la police. Cherchant en vain à prévenir ce dernier, il lui fixe rendez-vous. Mais lorsque Kyo et May s'y présentent, Clappique, qui jouait pour réunir l'argent nécessaire à son départ, est gagné par la frénésie du jeu et ne veut plus penser à eux. Le couple, ne prêtant plus attention à l'avertissement du baron, est arrêté. Clappique intercède auprès de la police pour libérer Kyo, mais ne parvient qu'à aggraver la situation. Parallèlement, Tchen qui avait déjà tenté d'assassiner le général Tchang Kaï-chek, comprend qu'il est nécessaire d'envisager un attentat-suicide pour avoir plus de chance de succès et pour affirmer son désir d'élever l'attentat individuel en méthode priviliégiée, accomplissement, selon lui, de la vraie nature de l'engagement. Hélas, il se jette sous une voiture-leurre, destinée à protéger le général de gens comme lui. D'un autre côté, Hemmelrich, après avoir découvert le meurtre sauvage de sa famille et constaté qu'il était désormais libre de dépasser sa condition d'homme, se joint à Katow pour lutter contre le général.

La fin du récit voit Kyo et plusieurs de ses compagnons emprisonnés. Kyo se suicide au cyanure. Cependant, Katow décide d'affronter la torture et offre sa dose de cyanure à d'autres captifs. May, Clappique, Gisors, ainsi que Hemmelrich parviennent quant à eux à s'en sortir, plus principalement Ferral qui va triompher à Paris auprès des banques et du gouvernement.
(résumé Wikipedia)

Un drame qui émeut
Même si, ne connaissant pas le contexte historique où Malraux a placé le décor de cette œuvre, j'ai eu un peu de mal à entrer dans l'histoire, j'ai aimé suivre ces personnages qui se battent pour leurs convictions. La fin tragique de certains d'entres eux est décrite avec talent.

La cruauté de la nature humaine n'a aucune limite.

Extraits choisis:
« Lentement empli du long cri d'une sirène, le vent qui apportait la rumeur presque éteinte de la ville en état de siège et le sifflet des vedettes qui rejoignaient les bateaux de guerre, passa sur les ampoules misérables allumées au fond des impasses et des ruelles ; autour d'elles, des murs en décomposition sortaient de l'ombre déserte, révélés avec toutes leurs taches par cette lumière que rien ne faisait vaciller et d'où semblaient émaner une sordide éternité. Cachés par ces murs, un demi-million d'hommes : ceux des filatures, ceux qui travaillaient seize heures par jour depuis l'enfance, le peuple de l'ulcère, de la scoliose, de la famine. Les verres qui protégeaient les ampoules se brouillèrent et, en quelques minutes, la grande pluie de Chine, furieuse, précipitée, prit possession de la ville. »

« Ne trouvez-vous pas d'une stupidité caractéristique de l'espèce humaine qu'un homme qui n'a qu'une vie puisse la perdre pour une idée ? »

« Ce qui les fascine dans cette idée, voyez-vous, ce n'est pas le pouvoir réel, c'est l'illusion du bon plaisir. Le pouvoir du roi, c'est de gouverner, n'est-ce pas ? Mais l'homme n'a pas envie de gouverner : il a envie de contraindre, vous l'avez dit. D'être plus qu'un homme, dans un monde d'hommes. Echapper à la condition humaine, vous disais-je. Non pas puissant : tout-puissant. La maladie chimérique, dont la volonté de puissance n'est que la justification intellectuelle, c'est la volonté de déité : tout homme rêve d'être dieu. »

Germinal, Emile Zola (1885)

Fils de Gervaise Macquart et de son amant Lantier, le jeune Étienne Lantier s'est fait renvoyer de son travail pour avoir donné une gifle à son employeur. Chômeur, il part, dans le Nord de la France, à la recherche d’un nouvel emploi. Il se fait embaucher aux mines de Montsou et connaît des conditions de travail effroyables (pour écrire ce roman, Emile Zola s'est beaucoup documenté sur le travail dans les mines).

Il fait la connaissance d'une famille de mineurs, les Maheu et tombe amoureux de la jeune Catherine. Mais celle-ci est la maîtresse d'un ouvrier brutal, Chaval, et bien qu'elle ne soit pas insensible à Étienne, elle a à son égard une attitude étrange.

Lorsque la Compagnie des Mines, arguant de la crise économique, décrète une baisse de salaire, il pousse les mineurs à la grève. Il parvient à vaincre leur résignation et à leur faire partager son rêve d'une société plus juste et plus égalitaire.

Lorsque la grève éclate, la Compagnie des Mines adopte une position très dure et refuse toute négociation. Affamés par des semaines de lutte, le mouvement se durcit. Les soldats rétablissent l'ordre, mais la grève continue. Lors d'un mouvement de rébellion, de nombreux mineurs défient les soldats qui se mettent à tirer sur les manifestants : Maheu, l'ouvrier chez qui Étienne avait pris pension, est tué.

Les mineurs se résignent à reprendre le travail. C'est alors que Souvarine, un ouvrier anarchiste, sabote la mine. Quelques mineurs meurent. Étienne, Catherine et Chaval, son amant, sont bloqués dans la mine. Chaval provoque Étienne qui le tue. Il devient enfin l’amant de Catherine qui meurt dans ses bras avant l'arrivée des sauveteurs. Étienne sort vivant de cet enfer et repart pour vivre plus paisiblement à Paris.Un jour, Étienne l'espère, il en est persuadé, les ouvriers vaincront l'injustice…
(résumé Wikipédia) 

Plongeon dans les corons
C'est avec Germinal que je commence la saga des Rougon-Macquart et je n'ai pas été déçue. Un vrai plaisir à lire, même si ce n'était pas facile de composer avec le vocabulaire minier. Les personnages sont mis en scène avec talent, l'écriture est abrupte, presque violente. Etienne, Catherine, le Maheu, la Maheude et tous les autres survivent plus qu'ils ne vivent. Ils traversent le temps comme des étoiles filantes en espérant, parfois, que leur sort s'améliore... en vain.

La lecture de cette œuvre dans la période socialement instable que nous traversons permet de mesurer l'importance qu'ont eu les luttes sociales, mais aussi leurs échecs...

Le film... c'est une autre histoire. Ce n'est pas un mauvais film, mais il était sans doute très difficile d'adapter à l'écran une œuvre aussi dense, fournie et complexe. J'ai été relativement déçue, au point de regarder la dernière heure en pointillé. Beaucoup de choses manquent ou sont trop peu présentes:
- Jeanlin le chenapan et sa caverne d'Ali Baba regorgant de milles victuailles alors que les grévistes sombrent littéralement dans la plus triste misère,
- Alzire qui aide sa mère à la maison et qui est emportée par la faim,
- la famine et la misère (qui me semblent beaucoup mieux retranscrites dans le livre),
- les sentiments de M. Hennebeau et le fait qu'il envie les mineurs car ils sont sans doute plus heureux que lui qui a l'argent mais pas l'amour,
- la longue attente de Catherine et d’Étienne dans la mine qui s'inonde,
- la grève,
- ...
Mais tout cela est sans doute la conséquence du passage de la plume à la caméra.

La Recherche de l'absolu, Honoré de Balzac (1834)


"Je parle pour les gens habitués à trouver de la sagesse dans la feuille qui tombe, des problèmes gigantesques dans la fumée qui s'élève, des théories dans les vibrations de la lumière, de la pensée dans les marbres, et le plus horrible des mouvements dans l'immobilité, je me place au point précis où la science touche à la folie..." Balzac, Théorie de la démarche.
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Une symphonie de mots

Ce livre est tout simplement époustouflant.
Après "Le curé de village", c'est la deuxième œuvre de Balzac à laquelle je me suis attaquée. La densité du texte est largement effacée derrière la fluidité de l'écriture de l'écrivain. Certains passages sont beaux:
"De part et d'autres, la reconnaissance fécondait et variait la vie du cœur; de même que la certitude d'être tout l'un pour l'autre excluait les petitesses en agrandissant les moindres accessoires de l'existence "
Comment ne pas tomber sous le charme de ce savant un peu fou qui sacrifie jusqu'à l'amour de sa vie à la science.
Ce n'est pas l’œuvre de Balzac la plus célèbre, mais elle gagnerait à l'être davantage.

Critique également postée sur Critiques Libres: http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/31809