Un roman français, Frédéric Beigbeder (2009)

C'est l'histoire d'un grand frère qui a tout fait pour ne pas ressembler à ses parents, et d'un cadet qui a tout fait pour ne pas ressembler à son grand frère.
C'est l'histoire d'un garçon mélancolique parce qu'il a grandi dans un pays suicidé, élevé par des parents déprimés par l'échec de leur mariage.
C'est l'histoire d'un pays qui a réussi à perdre deux guerres en faisant croire qu'il les avait gagnées [...].
C'est l'histoire d'une humanité nouvelle, ou comment des catholiques monarchistes sont devenus des capitalistes mondialisés.
Telle est la vie que j'ai vécue: un roman français.
F.B.

Le livre autobiographique d'un enfant dans un corps d'adulte, une introspection qui permet à l'auteur de (re)découvrir une enfance ni pire ni meilleure qu'une autre: une famille aisée, des parents divorcés, un grand frère modèle. Des souvenirs qui refont surface lors d'un séjour "douloureux?" dans les geôles parisiennes en 2008 pour consommation de cocaïne sur la voie publique.
Si vous aimez Beigbeder, vous aimerez "Un roman français" pour sa fécondité en références littéraires, cinématographiques, musicales, pour sa transparence et sa sincérité, et pour ce petit plus qui donne aux oeuvres de Beigbeder un caractère si singulier... Beigbeder, personnage extravagant symbole de notre époque, de notre société et de tous les travers qui les composent.
"Un roman français", une crise d'adolescence tardive? 

Quelques extraits intéressants:
 
p.16: "... Je descend d'un preux chevalier qui a été crucifié sur les barbelés de Champagne..."

p.33: "... Les nostalgiques de l'enfance sont des gens qui regrettent l'époque où l'on s'occupait d'eux..."
Nostalgique de l'enfance? De ces années insouciantes où la réalité cruelle, sauvage et injuste du monde nous était inconnue? Ou nous nous régalions des desserts amoureusement préparés par nos aïeuls, aujourd'hui disparus? Ou notre seul souci était de ramener un bulletin pas trop catastrophique à la maison? ...

p.40: "... Le Pouvoir a besoin des zartisstes pour lui dirre la vvvérité..."
Sans doute un petit peu... mais nous aussi on a besoin des zartistes pour déceler les mensonges et les calomnies dans la masse d'information qui nous agresse au quotidien. Merci à eux d'être toujours sur le front!

p.62: "... En France, c'était l'après-guerre, La Libération, les Trentes Glorieuses, bref, le devoir d'oubli qui précéda le devoir de mémoire..."
Étant née à la fin des Trentes glorieuses (1945 - 1975), je ne peux pas imaginer comment le devoir d'oubli se vivait au quotidien...

p.124: "... La science-fiction est la recherche prospective du possible..."
Au regard du nombre de discussion que j'ai déjà pu avoir avec mon compagnon sur le devenir de la société et de l'humanité, et au regard des scénarios (plus ou moins abracadabrant) que nous avons échafaudé, je ne peux qu'appuyer cette théorie.

p.127: "..."Lis San-Antonio, moi je ne lis rien d'autre, tout le reste m'emmerde. Arrête de lire des traductions, lis un mec qui parle ta langue: l'histoire on s'en fout, c'est l'auteur qui compte"..."
L'auteur est important, mais le traducteur aussi. Dans une œuvre traduite, ce n'est pas seulement le génie de la plume qui nous est offert, mais aussi celui de la traduction d'un système de pensée (donc d'une langue) à un autre. Je trouve, personnellement, que c'est aussi précieux.


p.129: "... Depuis je n'ai cessé d'utiliser la lecture comme un moyen de faire disparaitre le temps, et l'écriture comme un moyen de le retenir..."

p.141: "...; c'était avant le premier choc pétrolier. Cette génération vivait l'âge d'or du matérialisme, le monde était moins dangereux que maintenant, ce rêve dura une trentaine d'années..."
Nous serons sans doute la première génération de l'après révolution industrielle à vivre moins bien que nos parents... Et cette tendance va perdurer au regard des défis que nous avons à relever dans les décennies à venir. Notre qualité de vie va s'étioler, c'est quasi-certain.

p.148: "..."Rien qu'un moment du passé? Beaucoup plus, peut-être; quelque chose qui, commun à la fois au passé et au présent, est beaucoup plus essentiel qu'eux deux" (Marcel Proust)..."

p.167: "... "Un gouvernement fondé sur le principe de la bienveillance envers le peuple, semblable à celle d'un père envers ses enfants c'est à dire un gouvernement paternaliste, où donc les sujets, comme des enfants mineurs qui ne peuvent distinguer ce qui leur est véritablement utile ou nuisible, sont réduits au rôle simplement passif d'attendre du seul jugement du chef de l'Etat qu'il décide comment ils doivent être heureux, et de sa seule bonté qu'il veuille bien s'occuper de leur bonheur: un tel gouvernement est le plus grand despotisme qu'on puisse concevoir." (Kant, "Sur l'expression courante: c'est bon en théorie...", 1793)..." "..."Il est impossible de rendre les gens bons par décret parlementaire." (Oscar Wilde)..."
Ne fumez pas, Mangez cinq fruits et légumes par jour, Limiter votre consommation d'alcool, acheter ceci, cela (vive l'arrogance des publicitaires), ... Un gouvernement paternaliste en France? Pas du tout... Nous sommes loin d'évoluer dans un cadre despotique... hum, hum... Pour appuyer ce propos j'ajouterai ces autres lignes de Beigbeder:
p.180: "... Quand j'étais petit, on ne mettait jamais sa ceinture dans une automobile. Tout le monde fumait partout. On buvait au goulot en conduisant. On slalomait en Vespa sans casque. [...] Les gens baisaient sans capote. On pouvait dévisager une femme, l'aborder, essayer de la séduire, peut-être l'effleurer, sans risquer de passer pour un criminel. La grande différence entre mes parents et moi: dans leur jeunesse les libertés augmentaient; durant la mienne elles n'ont fait que diminuer, année après année..."

p.179: "... L'injonction capitaliste (tout ce qui est agréable est obligatoire) est aussi stupide que la culpabilité chrétienne (tout ce qui est agréable est interdit)..." "... Privés de nos liens familiaux, nous sommes des numéros interchangeable comme les "amis" de Facebook, les demandeurs d'emploi de l'ANPE ou les prisonniers du Dépôt..."

p.188: "...puisqu'on était entré dans cette nouvelle société dont parlait le Premier ministre à voix de canard (Jacques Chaban-Delmas), une société de consommation illimitée, de luxe américain, un monde où la solitude serait intégralement compensée par les jouets et les cornets de glace..."
La sur-consommation, la peste du 20ème siècle, une pandémie sans traitement, qui se transmet par l'éducation et les médias... Prenez vos précautions en envoyant vos enfants à l'école et en allumant votre poste... Elle se terre partout et reste à l'affut pour vous sauter à la gorge...

p.190: "... Ce n'est jamais la faute de personne quand on accepte l'inhumanité..."
Sauf si une bonne poire traine dans le coin...

p.202: "... ca ressemble au bonheur, on dirait du bonheur, mais ce n'est pas du bonheur. On devrait être heureux, on ne l'est pas; alors, on fait semblant..."

p.206: "..."L'adultère de la femme, à cause de ses conséquences, et parce qu'il est contraire à la nature, est beaucoup plus impardonnable que celui de l'homme." (Arthur Schopenhauer, Monde comme volonté et comme représentation)..."

p.220: "... Le refus de grandir fait partie de mon héritage, avec l'idée que la réalité est une valeur surestimée..."

p.221: "..."Calamitosus est animus futuri anxius" dit Sénèque. ("Un esprit soucieux de l'avenir est malheureux.")..."

p.223: "... C'est l'histoire d'un pays qui a réussi à perdre deux guerres en faisant croire qu'il les avait gagnées, et ensuite à perdre son empire colonial en faisant comme si cela ne changeait rien à son importance. C'est l'histoire d'une humanité nouvelle, ou comment des catholiques monarchistes sont devenus des capitalistes mondialisés. Telle est la vie que j'ai vécue: un roman français..."

Ouvrage: Un roman français, Frédéric Beigbeder, Edition Le Livre de Poche, N° 31879, Imprimeur:159252, Dépôt légal 1ere publication: aout 2010, Edition 03 - octobre 2010, Imprimé en France
 

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